Quelques faits sur la situation au Burkina Faso :
Depuis l’insurrection de 2014 et la chute Blaise Compaore (qui régnait depuis 27 ans) le Burkina Faso a subi de nombreux attentats et attaques terroristes dans la capitale, au Nord et à l’Est ; une des conséquences de ces attaques est notamment le déplacement de plus de 82 000 personnes – 558 décès – 446 civil.e.s et 112 personnes des forces de défense et de sécurité.
Petit retour historique à travers cette frise faite main qui redonne quelques dates clés de l’histoire du Burkina Faso :
– De 790 à 1884 : Empires avant la colonisation en Afrique de l’Ouest
– 1884 : La conférence de Berlin qui a pour objet le partage et la division de l’Afrique par les Européen-ne-s (avec la participation des Etats-Unis), et d’édicter collectivement les « REGLES » de la colonisation.
– 4 août 1983 arrivée de Thomas Sankara au pouvoir du pays avec une vision anti-colonialiste et le souhait de l’auto-détermination de l’avenir du pays et de l’Afrique par les Africain.e.s eux/elles –mêmes.
L’écriture de cet article a tout d’abord démarré par une conversation sur what’s app avec Noël Combary, président de Vivavi (une association locale promouvant la culture traditionnelle) suite à la tuerie de 16 personnes le vendredi 11 octobre dans une mosquée au Nord du Burkina Faso
« Noël je ne comprends plus rien à ce qui se passe au Burkina, aux enjeux géopolitiques, aux stratégies des terroristes ni à celles des armées étrangères, peux-tu m’éclairer la dessus stp ? »
Analyse de la situation par Noël Combary interviewé par Emmanuelle Auger (française, blanche, qui travaille au CRIDEV) :
« La zone sahélienne, partagée par le Mali, le Burkina et le Niger est une bande désertique d’accès difficile et longtemps peuplée par les Touaregs au Mali, les Peuls au Burkina et au Niger ainsi que les Berbères
Populations qui n’ont pas eu accès ou peu aux systèmes éducatifs et autres services de l’État.Très vaste et difficile d’y vivre, cette bande a toujours été une zone de non droits où tous les trafics passaient, alcool, cigarettes, armes, drogues etc…Même des autorités des différents pays trafiquaient avec ces bandes mais alors, il n’y avait pas encore de terrorisme en dehors des enlèvements de blanc.he.s, menés par le groupe Al Qaïda Maghreb Islamique. Donc, c’était déjà un refuge de trafiquant.e.s, et qui s’est renforcé avec l’arrivée de groupuscules ultraviolents suite à la guerre en Lybie . (#Merci Sarko !)
Tôt ou tard, c’était sûr qu’ils allaient évoluer vers un état autonome et incontrôlable.
Le Mali a démarré avec les revendications des Berbères et Touaregs autour de leur autonomie avec le projet Azawad1, leur ancien territoire qui s’étendait justement sur les 3 bandes frontalières que je mentionnais plus haut…
Ils se sont alliés avec les terroristes donc avant de comprendre que ceux-ci avaient leur propre agenda. Le Niger a toujours été sous pression du fait d’Areva2 et du groupe Boko Haram3.
Le Burkina a commencé à subir le terrorisme avec la chute de Blaise Compaore, mais de toute façon, nous étions déjà sous l’œil du cyclone… Je crois que politiquement, il est permis de penser que cette situation arrangeait l’ancien régime (#régime sous Blaise), qu’il soit impliqué ou non, car ils pouvaient décrier le nouveau régime et se présenter en sauveur…
Mais la situation a échappé à tout le monde…
Je veux dire que le terrorisme est monté en puissance au Burkina après le départ de Blaise Compaoré. Le problème est qu’actuellement, beaucoup de groupes terroristes opèrent, d’obédiences différentes et donc avec des cibles différentes… Les groupes extrémistes, veulent établir une sorte d’état et donc font tout pour chasser l’administration de ces zones… Et les trafiquant.e.s, font des attaques ciblées sans doute juste pour protéger leur zone d’influence et de trafic… Il y a ensuite les populations locales, Peules, Berbères, Touaregs, musulmanes en majorité, et qui sont plus ou moins complices, plus ou moins otages .
Ce sont des populations longtemps nomades, et qui ne se sont pas toujours bien entendues avec les agriculteurs.rices sédentaires… Il faut dire que les autochtones les ont toujours considérés comme des sous classes, et réciproquement, même s’il n’y avait pas de guerre ouverte… Au fil du temps et de la cohabitation, chacun.e tolérait l’autre. Idéologiquement on peut comprendre que ces populations soient d’abord attirées par le langage des terroristes nommés par l’occident en tant que « djihadistes »4 y voyant l’occasion de s’émanciper et de vivre selon une des interprétations détournées et erronées des lois islamiques…
Ce qui en fait une base de recrutement.
L’une des conséquences de cela c’est que l’opinion publique burkinabé amalgame les groupes terroristes d’origine et les populations nomades (Berbères, Peuls et Touaregs). Sachant que dans la réalité certaines personnes se trouvent réellement enrôlés par les terroristes et d’autres souhaiteraient se rebeller mais ne le peuvent pas au regard de la situation. De fait lorsque les attaques ont touchés des autorités coutumières (les chefs de villages ont été assassinés) les populations autochtones ont réagi en attaquant des villages Peuls (plusieurs centaines) ce qui a fait craindre une guerre civile et qui a été médiatisé comme étant des guerres ethniques.
Tant l’attaque de mosquées que de lieux de culte chrétiens sont à rattacher aux terroristes idéologiques5 qui sous couvert de l’utilisation de la religion musulmane, tentent de devenir souverains de toute façon à rattacher avec ce qui se fait dans les pays arabes… Des divergences de confession sans doute, les extrémistes mettant dans le même sac ceux/celles qui collaborent avec l’Etat qu’ils soient musulmans ou non…
Donc, je crois que la situation échappe à tout le monde…
Il faut ajouter que quelques exécutions sont aussi le fait d’opportunistes qui règlent leurs comptes en les mettant à charge des terroristes nommés comme «djihadistes ». Donc, je crois que cerner le problème a été long et compliqué pour le Burkina, les choses évoluant très vite, et la situation interne ayant été longtemps polarisée par les conflits politiques. A présent, même si la mesure est prise, les stratégies à mettre en place doivent évoluer et s’adapter, alors même que les moyens ne suivent pas…
Je crois que le G5 Sahel6 a longtemps été la solution attendue mais ça tarde, les moyens financiers et logistiques n’ont pas suivi, aucun pays seul ne pouvant faire face au suréquipement des terroristes (eux-mêmes soutenus notamment par le monde occidental).
Et chaque pays doit s’armer et s’organiser pour combattre en attendant, le fait que le G5 Sahel ne soit pas effectifs a des conséquences non négligeables pour les États (réorganisation financière, militaire..) avec des manques de moyens cruels ; et du coup le développement de ces pays connait une récession liée à la réorientation des financements, les populations locales sont directement impactées (écoles fermées, services de santé fermées, déportation des populations, fin du tourisme…). Une situation géopolitique compliquée donc. »
Noël, Yempabou Combary
- Projet d’un territoire autonome pour/ par les communautés notamment Touareg – Le territoire Azawad : anciennement connue comme une zone de transhumance au nord de Tombouctou. Au sens restrictif du terme, il regroupe tout le nord du Mali à l’exception des terres au sud du fleuve Niger. Pour le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), il s’agit de tout le nord du Mali, de Mopti à Tin-Zawaten et de Ménaka à Taoudenni. [↩]
- Projet d’exploitation d’uranium par l’entreprise française nommée Areva qui ne bénéficie pas aux autochtones [↩]
- Groupe terroriste principalement installé au Nigéria né en 2002 [↩]
- Le terme Djihad (littéralement l’effort, l’abnégation, la lutte en arabe) fait référence aux efforts fournis par un-e musulman-e dans l’apprentissage et l’application dans sa vie quotidienne d’une droiture vis-à-vis des préceptes islamiques. On parle donc très communément de « djihad an-nafs » (lutte contre soi, contre son égo). Quant à la dimension de résistance guerrière du djihad, elle existe mais est très codifiée et n’a strictement rien à voir avec ce à quoi on assiste notamment au Burkina Faso et dans d’autres endroits du monde aujourd’hui et qui pourtant est appelé « Djihad » / « Djihadistes ». [↩]
- Personnes ou groupes de personnes qui utilisent/ instrumentalisent des textes/ des fois à des fins d’imposer des manières de vivre, de penser auprès des populations mais dans leurs intérêts propres (Ex : Boka Haram qui fait de la propagande très forte en instrumentalisant la religion musulmane pour imposer des zones où ils ont le pouvoir). [↩]
- Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad : suite à a guerre au Mali le G5 Sahel a été mis en place pour contrer les menaces terroristes, constitué des forces de défense de ces 5 pays, une armée communes devait être formé et équipé pour suppléer à la force française Barkane. [↩]