Dossier de La déferlante. La revue des révolutions féministes. N°7 Septembre 2022.
« Faites des parents, pas des enfants » (Donna Haraway et Adele Clarke)
Enfant et ado, j’affirmais ne pas « vouloir d’enfant ». Ou alors celleux des autres. Ou du moins, celleux déjà né.es et qui auraient besoin qu’on prenne un peu plus soin d’elleux. Avec mon regard de l’époque, je me disais aussi qu’il y avait certainement bien assez d’orphelin.es sur la planète, pas besoin de concevoir un nouvel être moi-même. Bref, ça commençait mal pour rentrer dans le moule de la mère de famille « idéale » ou plutôt patriarcale. Je n’ai pas le souvenir de pression particulière de mes proches, notamment mes parents, à ce sujet mais je n’ai pas non plus l’impression d’avoir connu beaucoup d’autres exemples de familles que celle mononucléaire hétéro, éventuellement recomposée. Aujourd’hui, en tant que femme dans la trentaine, sans enfant, c’est raté pour la reproduction du modèle père-mère-enfants.
Je me réjouis pour autant sincèrement de toutes les naissances autour de moi – et il y en a en masse-, partage le bonheur que cela amène dans la vie de mes proches, et leur suis reconnaissante de me laisser tricoter une place dans la vie de ces petits êtres en devenir. Je reste convaincue de mon envie d’accompagner des enfants, des naissances, des ami.es dans leurs aventures parentales. Construire une juste place dans ces parentalités. Je propose, depuis plusieurs années, à ma meilleure amie, dont le désir d’enfant est fort, de se lancer dans l’imagination et la construction d’une famille ensemble. Une famille sans le couple, une famille sans relation hétéro, faire famille à notre sauce… Pas simple, peu d’écho pour construire et se défaire nous-mêmes des normes, délier désir d’enfant et relation amoureuse…
Dans le dossier du mois de septembre, les autrices de la Déferlante proposent quelques regards et des récits de « famille » faites autrement. Des histoires que j’aimerais entendre et rencontrer davantage. Qui inspirent, sans cacher les difficultés et les injustices qui sont ancrées au cœur des représentations de « La Famille », comprendre ici hétéro-patriarcale. Les huit articles croisent témoignages intimes, analyses politiques et sociologiques, récits de lutte et regards historiques pour tenter d’ « ouvrir grand nos conceptions des liens et nous permettre d’imaginer des organisations familiales plus égalitaires ».
L’entretien de la sociologue québécoise Gabrielle Richard raisonne fortement en moi, sur le comment « Faire famille » autrement. Son travail avec des familles queer montrent comment ces organisations familiales « bouleversent les conceptions familiales dominantes… et permet d’imaginer des relations plus libres ». Ses propos trouvent écho dans l’article de Laura Verquère qui revient sur les travaux de Donna Haraway1 dont les travaux appellent à « troubler l’ordre familial et à bricoler nos liens de parenté en créant des ménages « multienfants » et multigénérationnels », c’est-à-dire à pluraliser nos formes d’attachements et nos rapports de responsabilités à celles et ceux qui comptent. ». Grosse ambition, pour laquelle ce dossier donne à voir quelques pistes, bien qu’il ne propose pas, à mon sens, d’exemple d’organisation familiale plus troublante, réellement au-delà du modèle du couple ou de la relation amoureuse, comme peut le suggérer Donna Haraway dans ses travaux.
La famille est donc un objet social et construit, nous rappellent les autrices de ce dossier. Notre conception actuelle de cette notion mérite d’être relue à travers une perspective historique et non ethnocentrée.
« Replier la notion de famille sur la notion de couple, c’est une conception néolibérale relativement moderne ». Elle va encore trop souvent de pair avec la figure du patriarche, puis du « bon » chef de famille moderne, des figures dont l’autorité paternelle s’est aussi construite en France au fil des lois, explique l’article de Marion Rousset. Du code napoléonien, des lois révolutionnaires à aujourd’hui, « chaque fois que l’on a essayé de mettre les pères et les mères à égalité, cela a déclenché des réactions masculinistes » (Fabienne Guilieni). Les trois derniers articles du dossier viennent illustrer sensiblement, à mon avis, le poids que la domination patriarcale fait peser sur les femmes, les mères dans les réalités actuelles. Cheffes de familles, mères célibataires, marâtres, belle-mères, mères sociales… la société et les institutions portent sur elles un regard jugeant, incriminant. Elles sont « toujours trop… », « jamais assez… » comme il faudrait. Ce sont pourtant elles qui assurent majoritairement encore la charge des enfants, avec majoritairement moins de ressources matérielles et moins de juste considération.
- Philosophe, biologiste féministe états-unienne [↩]