Bon on a bien compris…La situation actuelle impacte tout le monde…Oui, mais peut-être pas de la même manière, car chaque personne se trouve dans des contextes de vie différents, avec des trajectoires spécifiques, des privilèges ou non-privilèges de classes, de genre, d’orientation sexuelle, de validisme, de race sociale particulières… Tout cela joue dans les manières de vivre, de se raconter nos confinements à l’intérieur, à l’extérieur ou même de ne pas vivre le confinement…
Dans cet édito « Confidences et confi…denses #1 », on vous partage 3 « bouts » de récits et analyses envoyées par 3 bénévoles du CRIDEV…
– Confidences et confi…dense
« Je suis dehors sur les marches de ma maison. Je fume une cigarette et j’ai pris mon cahier pour écrire. On est confinés. Je viens de recevoir ta haine. Je prends trop de place, mon rire est trop bruyant, je parle trop fort, je parle trop tout simplement, et la porte quand je la ferme elle fait tellement de bruit. Il faudrait que j’arrête de parler aussi c’est inintéressant tout ce que je raconte, mais même si me tais et que j’écoute de la musique, c’est de la merde. Je n’ai pas de goûts en musique. Mais je suis gentille, ça on ne peut pas me le reprocher, je n’ai juste pas de valeur. Pas à tes yeux en tout cas. Rien absolument rien chez moi ne t’intéresse.
Assise dehors sur les marches j’entends un homme qui hurle fort à sa femme, il lui demande de la fermer. Je repense à cette vidéo que j’ai vue dans la journée. La maison est l’endroit le plus dangereux de nos jours pour une femme.
Alors je décide d’écrire, parce que je ne dois pas être la seule à devoir inlassablement prendre sur elle. Les hommes n’arrivent pas à conceptualiser l’égalité. Soit j’existe soit c’est toi, mais les deux ensemble ça n’est pas possible. Il y a forcément quelqu’un qui écrase l’autre. L’idée que la femme puisse être l’égale de l’homme tu la défends dans tes paroles. Tu ne la vis pas. La vivre c’est au quotidien quand les deux peuvent vivre ensemble en étant eux-mêmes.
Mais non bien sûr, tu penses que tout cela n’a rien à voir. Toi tu penses que c’est différent, toi tu ne me veux pas de mal, tu n’es pas sexiste, c’est juste ma personnalité. Elle ne matche pas avec la tienne.
Tu rejettes le sexisme d’ailleurs, violences faites aux femmes y compris. Tu crois que tu sais exactement ce que tu rejettes tu n’as pas besoin de te renseigner dessus.
Seulement c’est bien là le problème.
Comment amener ces hommes, qui sont intrinsèquement convaincus qu’ils n’ont rien à apprendre des femmes, à aller justement écouter ce que les femmes ont à dire et qu’elles pourraient leur apprendre quelque chose.
Il est bien là le problème.
Mais « oh » que je n’ai-je pas dit, ce n’est pas ça, je me trompe, encore. Toi non tu veux bien apprendre des femmes, mais tu n’es juste pas intéressé par ce sujet.
Si seulement la vie d’aujourd’hui, dans notre monde de mâle dominant n’existait pas.
Si seulement ces paroles-là, cette situation que tu peux penser bien particulière n’était pas aussi systémique. Si seulement c’était juste ici, dans cette maison. Si seulement c’était juste toi et moi, deux personnalités singulières qui ne s’entendaient pas et puis c’est tout. Si seulement c’était juste un seul homme et juste une seule femme. Si seulement tu n’avais pas envie de violence physique pour t’imposer. Si seulement c’était juste une fois, juste un seul homme.
Si seulement…
Alors je m’inclinerai.
Malheureusement…
Ton éducation te formate au plus profond de toi-même, tu n’es pas conscient qu’on te conditionne à ne pas trouver la femme intéressante, à lui trouver une valeur. Tu n’as pas fait les liens avec la supériorité et l’oppression.
Le sexisme c’est quand on pense que les femmes n’ont rien de positif à apporter.
Ton comportement n’est pas isolé. Il y a trop de femmes dans la rue, de femmes qui portent leurs voix, de femmes qui veulent se défendre que tu ne peux plus dire le contraire.
Ma volonté de te forcer à voir que je suis une femme intéressante est la même volonté qui a poussé les humains noirs à lutter pour que les humains blancs leur reconnaissent de la valeur. Tu te dois de te forcer pour te déconditionner.
Il te faut combien de souffrance pour que tu ouvres les yeux ?
Aujourd’hui tou-te-s confiné-e-s il y a combien de femmes qui doivent supporter au quotidien les reproches, les dénigrements, les insultes, mais aussi l’indifférence, le mépris silencieux, la condescendance.
Le sentiment d’un genre qui se sent supérieur à un autre. »
J.C
– Confi[de]Femme ou Confin[de]Femmes….
« Plutôt autour de moi, le confinement ça va. Mes proches et moi, avons quelques privilèges en poche qui font que nos conditions de vie confinée sont pas si pire. Souvent, on a des logements décents, voir spacieux, parfois des jardins, accès à l’extérieur. On ne se soucie pas trop des contrôles de police, on joue même un peu avec les règles. Malgré cela il y a des choses qui interpellent. Il y a cette petite rengaine, que j’ai moi-même eu l’occasion de prononcer « Oui, ça va, je me rends bien compte que mes conditions de confinement sont confortables, privilégiées. Je sais bien que pour certaines personnes, c’est très difficile en ce moment. Je ne peux pas me plaindre… » Je me demande ce que ce « mea culpa » de privilégié·es semble vouloir cacher et ce qu’il occulte aussi.
Au Cridev, je cause souvent féminisme, vie de femmes, si bien qu’à force de porter ces lunettes dé/re-formantes, difficile d’accéder à la réalité sans leur filtre. Parfois, je me dis que ce serait plus facile de ne pas toujours les porter ces lunettes. Pendant cette période de confifi elles ont encore sévi :
#Charge émotionnelle
La très large majorité de mes proches qui prennent des nouvelles de moi sont des femmes : les amies, ma mère. Mes proches hommes répondent à mes messages et mes appels et sont ravis de discuter et d’échanger alors des nouvelles, mais l’initiative ne vient pas d’eux.
Ma mère me suggère d’envoyer au moins un message à mon frère pour avoir de ses nouvelles (que par ailleurs j’ai grâce à elle). Ça lui fera plaisir. Je suggère en retour qu’il peut aussi m’envoyer un message, ça me fera plaisir. Ni lui ni moi ne l’avons fait.
> > Je relis la bd d’Emma sur la charge émotionnelle ! J’adore !
#Cumul des tâches
J’écoute mes amies mères me dire qu’elles vivent pas très bien le confinement avec les enfants. Qu’être mère, instit, animatrice… c’est violent et assez insupportable. J’ai sans doute moins de proches pères mais ceux que j’ai au tel ne mentionnent pas vraiment ces aspects. Ils semblent contents de jardiner et de jouer dans le jardin.
#Mépris de classe #bienpensance
J’entends « là c’est inévitable, c’est une preuve pour tout le monde, les gen·tes comprennent enfin les dysfonctionnements du système, ce qui compte vraiment, les activités essentielles, vitales, ces métiers et personnes qui comptent… » Vraiment ? Qui sont ces gen·tes qui seraient porteur.es du renversement par leur éclair soudain de lucidité ? Qui sont cell·eux qui n’avaient pas compris avant ?
J’oscille entre optimisme et pessimisme sur « ce temps d’après », révolution ou fascisme… ?
J’ai envie de serrer fort mes proches dans mes bras. »
L.C
– Et ça, j’espère qu’on ne l’oubliera pas
« Entre le “monde d’avant” et le “monde d’après”, ce temps en suspens. Ce temps où on ne regarde plus vraiment l’heure, ce temps où on est plus à l’écoute, des sons autour de nous, de la petite musique en nous… Pour celleux qui ont la chance d’être protégé·e, à l’abris, dans un espace qui soit sécure. Car avec cette mise à l’arrêt dont on ne peut connaitre vraiment l’issue, vient ce sentiment d’impuissance, qui personnellement, ne me donne pas du tout envie de romantiser la situation. Alors on prend le temps de forger, réflexions, sentiments, et colère saine. La situation révèle et creuse toujours davantage les inégalités sociales, elle accentue les violences, et je me dis qu’il serait bon de le garder à l’esprit pour alimenter le moteur des luttes. Malgré tout, prendre du recul est – assez paradoxalement – très difficile. Prendre le temps de se poser, faire un pas de côté, m’a toujours semblé bénéfique. Mais lorsqu’il s’agit d’une pause “contrainte”, la situation est différente. Ça n’est pas de l’oisiveté salvatrice, ce n’est pas “le droit à la paresse”, c’est autre chose. Et cet autre chose, même après plusieurs semaines de confinement je n’arrive pas à le nommer. Sans doute nous retrouver nous permettra d’y voir plus clair. Ce qui est sûr, c’est que la situation a montré explicitement ce qui était essentiel et ce qui était superflu. Et ça, j’espère qu’on ne l’oubliera pas.”
L.V