- Je n’ai aucune difficulté à trouver un médecin ou un thérapeute avec qui il est aisé de parler de ma sexualité.
- Ma / mon conjoint-e et moi pouvons trouver des cartes d’anniversaire qui correspondent à notre situation dans toutes les boutiques de cartes de souhaits.
- Parler de mon orientation sexuelle n’a jamais posé de problème avec ma famille.
- Je peux penser à mon orientation sexuelle sans connotation politique.
- Je peux marcher main dans la main avec mon conjoint en public et l’embrasser pour lui dire au revoir à l’aéroport sans craindre que les gens nous regardent, parlent de nous, nous insultent ou nous agressent.
Voilà, si vous pouvez cocher toutes ces cases, vous avez gagné ! Vous êtes hétérosexuel-le et, bonne nouvelle pour vous, cela veut dire que vous bénéficiez d’un certain nombre de privilèges. C’est ce qu’on appelle les privilèges hétérosexuels. Ces privilèges reposent sur un système qui édicte la norme en matière de sexualité et d’expression des genres (féminité/masculinité). Si certain-e-s ont donc des privilèges (dont ils peuvent user sans même en être conscient-e), d’autres se trouvent mis à l’amende pour non-conformité au-dit système : sanctions, dénonciations, harcèlements, agressions, discriminations… Cette variété répressive s’exprime dans différents champs : média, lois, espace public, médecine.
En France par exemple, la PMA (Procréation Médicalement Assistée), qui désigne l’ensemble des techniques médicales permettant d’avoir un enfant, est réservée aux couples hétérosexuels infertiles ou risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant. Les couples de femmes voulant la PMA sont donc contraints de partir à l’étranger pour y avoir accès : un parcours éprouvant et très couteux. La « PMA pour toutes » sera débattue au Parlement cette année, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Malgré une opinion publique favorable (60% des français-e-s selon un sondage IFOP datant de septembre 2017), la pression de groupes réactionnaires a déjà commencé et devrait s’intensifier dans les mois à venir.
Cette répression de la part d’une frange de la population s’est exercée lors de la campagne de prévention du VIH, diffusée par le ministère de la santé du 16 au 22 novembre 2016. Des affiches avaient été retirées par les maires de certaines villes ou vandalisées. Cette campagne s’adressait directement à un public masculin, essentiellement gay, sur des supports publics (principalement des abribus) et concernait environ 130 villes. Elle a engendré de nombreuses réactions homophobes, de la part des associations familiales catholiques (afc), des militant-e-s de la manif pour tous, de certains politiques, notamment une ancienne députée d’Ille-et-vilaine, le maire d’Angers… pour ne citer que les plus proches.
À l’international, la situation des personnes hors de la norme hétérosexuelle n’est guère plus simple. Rappelons que la Tchétchénie est le théâtre depuis quelques mois de vives persécutions à l’encontre de la communauté LGBT. Et que la figure du « gay » est instrumentalisée dans la campagne présidentielle Russe.
Rappelons aussi que l’homosexualité, jusqu’en 1992, était toujours considérée comme une pathologie selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Ce n’est aujourd’hui plus le cas, cependant, des organisations comme « Courage », association d’origine américaine qui s’est implantée en France en 2014-2015, est au cœur d’une polémique. Elle a fait l’objet de plusieurs plaintes aux États-Unis pour des thérapies dites de conversion, méthodes très contestées, visant à faire « rendre hétérosexuel-le les personnes homosexuelles ». Cette même organisation a tenté de proposer à Pau et Bayonne des réunions autour de prétendues « thérapies de guérison » de l’homosexualité.
Ces actualités sont une photographie en temps réel de l’état de nos sociétés. Ces manifestations de haine homophobe, la frilosité de nos gouvernants et ministres à mettre en œuvre efficacement des mesures contre toutes discriminations homophobes rappellent une évidence : nous vivons dans une société hétéronormative* (pouvant être également qualifiée d’hétéro centrée) et les individu-e-s qui échappent à cette norme s’exposent à subir des discriminations plus ou moins violentes tout au long de leur vie.
C’est toujours flou pour vous ? Imaginez une société dans laquelle la norme serait autre…
Les différences de sexualités ou d’expression des genres sont alors vues comme des exceptions dans le meilleur des cas et comme des déviances plus généralement. L’hétéronormativité, c’est à la fois dire que les hommes et les femmes sont différents, qu’ils/elles ont des rôles/des qualités différent-e-s et que tout ça est naturel, inscrit dans l’ordre des choses : l’hétérosexualité serait ainsi en dehors de l’histoire et de ces mutations.
Pour conserver cette « fiction naturelle » de l’hétérosexualité, ce système a donc besoin de différencier des « hommes » et des « femmes », d’inscrire ces différences en nature et de punir les déviances, en sanctionnant, notamment, les personnes non-hétérosexuelles dans des domaines tels que le mariage, les impôts, l’emploi, la vie sociale…
Pause musicale.
https://www.youtube.com/watch?v=YtRhATTlkgg&feature=emb_logo
Il est important pour nous, au Cridev, de penser la société de manière complexe, critique, et d’affirmer nos points de vue, aussi situés soient-ils. Nous sommes une majorité de femmes cis genre, nous sommes blanches, nous avons entre 23 et 35 ans, nous sommes salariées, nous sommes volontaires, nous sommes bénévoles, nous sommes hétérosexuelles, bisexuelles ou homosexuelles. Nous sommes issues de classe ouvrière ou moyenne.
De même que nous essayons de lutter contre les discriminations racistes et classistes, parfois en tant que premières concernées, parfois en tant qu’alliées, il est important pour nous de nous positionner contre les discriminations sexistes et les agressions LGBTQI qui découlent de l’hétérosexualité obligatoire. Et de rappeler qu’elles se croisent et se rencontrent en fonction des enjeux de classes et de races. Aussi, il nous importe de penser ces discriminations ensemble, de façon intersectionnelle et de construire des luttes et des revendications communes.
Allez, on se quitte en chanson.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=h4NHXvQEOok&feature=emb_logo
Elise B. et Judicaëlle B.
*L’hétéronormativité décrit la façon dont les discours et les institutions sociales et politiques renforcent l’idée que les individus sont hétérosexuels et que le genre (définit par Elsa Dorlin comme « le rôle et le comportement sexuel qui sont sensés correspondre au sexe qui nous a été assigné à la naissance ») et le sexe (toujours par Elsa Dorlin, « c’est le sexe biologique, tel qui nous a été assigné à la naissance : sexe mâle ou femelle ») sont naturellement binaires et concordantes.
Nos sources, nos textes empruntés, nos citations, nos chiffres…
https://www.sos-homophobie.org/rapp…
http://www.rezosante.org/51-article…
http://lmsi.net/Qu-est-ce-que-l-het… // https://etatsgenerauxdelabioethique…
http://www.ifop.com/media/poll/3853… // https://infokiosques.net/spip.php?a… https://infokiosques.net/spip.php?a… // https://infokiosques.net/spip.php?a… // https://infokiosques.net/spip.php?a…
http://www.ifop.com/media/poll/3853… // http://la-trouvaille.org // https://www.courrierinternational.c…
Bibliographie
L’invention de l’hétérosexualité, Jonathan Ned Katz
La pensée straight, Monique Wittig
Trouble dans le genre, Judith Butler