Edito un peu spécial en une période définitivement très spéciale. Comme vous le savez, au CRIDEV, on parle beaucoup solidarité internationale, voyages éthiques, tout ça. Et alors que les voyages se font de moins en moins nombreux, je vous propose une réflexion collective par rapport à la thématique de la mobilité internationale en tant qu’enjeu politique et personnel. De préférence quelque chose de plus poussée que « bah tout le monde reste chez soi et basta hein ».
En fait, quand on a commencé à parlé du Covid-19, j’ai très vite pensé aux potentielles retombées sur les pays africains, entre autres pays dépossédés de systèmes sanitaires solides. Le racisme anti-asiatique étant tristement répandu sur tous les continents, j’avoue que je me méfiais surtout des transmissions en Afrique par nous autres européens et européennes. Ça va des volontouristes aux personnes issues des diasporas, en passant par les expat’ et les personnes qu’on est amenées à accompagner au CRIDEV. Du coup, avant même de me décider à rester confinée dans mon appart’, j’ai vite abandonné la perspective de vacances « au bled » en juin prochain.
Les occidentaux vrmt les dignes descendants de leurs ancêtres hein, en train d’importer le virus oklm dans des pays qui ont bien moins de moyens hospitaliers et d’exposer des populations bien plus précaires qu’eux au virus, Coronavoyage is the new volontourisme
— SOPHIEXIT | Chef de confinerie (@Asiatitude) March 18, 2020
Hantée par les quelques souvenirs des hopitaux que j’y ai visités, pour moi il ne s’agissait pas seulement de « checker ses privilèges » en se disant « wow on est grave gâté-e-s en France ! », et encore moins de jouer les « sauveurs blancs ». Renoncer à rendre visite à ma famille, c’était ma première démarche d’auto-confinement. Ce que j’appelle un devoir de retrait. Et en vrai, je pense que ce concept de « devoir de retrait », il englobe bien plus de comportements que celui de rester chez soi. Savoir s’effacer aux bons moments, c’est pas toujours facile quand on est assailli-e-s par les discours mêlés de « confiance en soi » et de « liberté d’expression ». Ça a tendance à booster notre ethnocentrisme déjà bien nourri de termes comme « pays développés », tout ça !
Du coup dans le cadre de la mobilité internationale, je me dis que parfois (même souvent) le devoir de retrait c’est de renoncer à ses rêves d’explorateur ou d’exploratrice, ou alors de se battre pour ces rêves-là en luttant chez soi contre les nombreuses règles qui maintiennent les dominations coloniales et néo-coloniales.
Ceci n’est pas un appel subliminal à être de plus en plus actifs et actives pour nous aider au CRIDEV. Il y a tellement de façons de s’informer et de lutter et c’est cette diversité-là qui m’interesse tant aujourd’hui que demain. Surtout qu’en plus, on se réinvente en confinement. Faire les choses à distance. Prendre des nouvelles et renforcer nos liens à distance. Observer son propre quotidien changer et réaliser combien d’autres vivent cette période complètement différemment, rien qu’en France. Qu’en est-il alors de ce qu’il se passe ailleurs ?
Je suis journaliste et je suis venue me confiner chez mes parents ouvriers dans le sud.
Je n’ai peut-être pas la plume de Leila Slimani et des auteurs qui racontent leur confinement. Alors, voilà mon anti-journal de confinement. pic.twitter.com/TppG549jdo
— Nesrine Slaoui (@NesrineSlaoui) March 19, 2020
Pardonnez-moi mais j’en reviens à ce devoir de retrait et à l’exemple de la mobilité internationale.
J’ai bien l’impression que tout ce processus de questionnement autour de soi et autour de ses relations aux autres, processus qu’on encourage vivement chez les voyageurs et voyageuses qu’on accompagne, ça amène nécessairement chacun et chacune à cette vigilance sur le fait de savoir s’effacer. Développer sa perspicacité face à des situations sociales nouvelles dont la personne est loin d’avoir toutes les clés. Révéler sa capacité à voir dans des mœurs différentes autant d’occasions de questionner les siennes. D’où me viennent-elles ? (#Systèmes) Me conviennent-elles vraiment ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ? Un peu comme la première fois que tu vas dormir chez un-e ami-e quand t’es gosse et que tu te rends compte que ce que tu croyais être la norme pour le fonctionnement d’un foyer est complètement en décalage avec ce que vit l’autre gamin-e voire carrément illogique à ses yeux. Qui est bizarre dans l’histoire ? Et si c’était toi « l’Autre » ?
Le devoir de retrait au final, je pense que ça n’est rien d’autre que de la prudence inspirée par un constant effort d’auto-questionnement et de compréhension de notre monde (ou nos mondes). Du moins, c’est comme ça que je l’entends. À vous de voir si vous vous reconnaissez en cela. En tout cas, rassurez-vous, je ne me permettrai pas de vous dire « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. […] La culture, l’éducation, le sens des choses est important ». Je laisse ça au patriarche de la StartUp Nation.
En réalité, si j’évoque ce sujet, c’est plutôt parce que je suis sûre que vous avez un tas de réflexions hyper intéressantes là-dessus, parce que cet édito n’expose qu’un début d’idée, et enfin parce qu’on n’a plus d’occasion de causer de ce genre de choses au local lors d’une perm’, d’une causerie ou d’une formation…
Du coup, le mini challenge que je vous propose c’est de :
1 – Raconter un moment où vous avez senti/compris que vous aviez un devoir de retrait, alors que vous prépariez un voyage ou que vous étiez en voyage
2 – Partager une ressource (image, tweet, article, vidéo, podcast, etc.) qui vous a éclairé-e sur certaines inégalités sociales/sociétales (relatives à la pandémie de Covid-19) auxquelles vous n’aviez pas tout de suite pensées à l’annonce du confinement. Votre propre commentaire/analyse de la ressource est un gros bonus !
Pour l’envoi, ça se passe par là → cridev.manelle@gmail.com. Bien sûr, si vous voulez faire l’un ou l’autre plutôt que les deux, n’hésitez pas ! Toute réponse au challenge est par principe anonymisée mais dites-nous si vous préférez que vos réponses ne soient pas du tout utilisées.
Toute l’équipe du CRIDEV vous salue et vous souhaite tout plein de positif et beaucoup de ce-for. Hâte de vous lire !
Manelle H. pour le Cricri