Une après-midi causerie sur la Françafrique s’est déroulé mercredi 19 mai au CRIDEV. Nous étions en visio avec des membres de l’association Vivavi au Burkina Faso ; Noël Combary, Edmond Koala, Bendja Thiombiano, August Combary, Mathieu Combary, Ami Combary, Oumou Togyeni…. se réunissaient en même temps qu’une petite dizaine de personnes se réunissaient au CRIDEV. Nous nous sommes toutes et tous mis au travail autour de plusieurs notions attrayant à la Françafrique :
– Impérialisme et Ingérence
– Aliénation et néocolonisation
– Bien mal acquis et impunité
Il nous a semblé percutant de pouvoir retranscrire ce que nous ont dit les membres de Vivavi sur ces notions, qui sont loin de n’être que des termes abstraits. Leurs voix, leurs vécus, leurs analyses nous semblent essentiels à mettre en lumière.
Voici quelques extraits des échanges collectifs qui ont eu lieu à Fada N’gourma au Burkina Faso mercredi dernier, en connexion avec le Cridev et survie 35 :
1- Impérialisme[1] et Ingérence[2]
« Nous nous sommes demandé.e.s collectivement comment nous vivons cela ?
Voici un résumé des sentiments des un.e.s et des autres…
Ce qui est frappant, c’est que nous avons l’impression que nos chefs d’État doivent avoir l’aval du pays colonisateur (en l’occurrence pour nous de la France) pour pouvoir gouverner / diriger notre pays. S’ils n’ont pas l’aval du pays colonisateur, soit ils ne vont pas durer dans le temps, soit on va les tuer. Tous nos dirigeants finissent par être des marionnettes des puissances coloniales. La preuve c’est que la plupart du temps, quand il y a des problèmes en interne du pays, plutôt que de discuter avec les différentes forces vives, nos chefs d’Etat vont chercher plutôt à aller en France, parler au président Français ou bien aller dans les médias français alors qu’ils ne s’adressent même pas à leur nation. C’est de l’extérieur que nous allons entendre nos chefs d’Etat s’exprimer sur les situations nationales, ce qui est assez paradoxal. Comme si c’était la France qui en dernier ressort décidait de la résolution ou non de nos problèmes.
Nous avons également le fait que la monnaie africaine (le francs CFA) reste subordonnée aux conventions avec la France. Mais est-ce nécessaire de revenir sur ce sujet : une vidéo réalisée par l’équipe Datagueule https://www.youtube.com/watch?v=OHg4YgccmPg.
Nous avons aussi l’impression que l’orientation politique majoritaire de la France, influe sur nous : il faut être socio-démocrate quand c’est ce qui domine en France – il faut être libéral car c’est ce qui domine en France / en Europe…. Etc … Les gens ne partent pas de projets politiques intérieurs mais plutôt tentent de mettre en place des projets adoubés par l’Europe, par les puissances coloniales.
De façon physique nous ressentons également cet impérialisme par la présence des armées occidentales, elles sont là depuis l’époque coloniale et elles sont là pour défendre des intérêts qui leurs sont propres (ou propres à leur pays) et non pas pour défendre nos causes nationales ou locales. Les armées françaises, même face aux terroristes, on dirait qu’elles interviennent pour empêcher les terroristes de détruire des intérêts français et après ça si les populations meurent, elles se disent que c’est à l’armée nationale de gérer « leur merde ».
Enfin sur l’aspect économique, chaque fois qu’on veut monter un projet nécessitant des financements (que l’on ne trouve qu’à l’extérieur de notre pays), on se rend compte qu’il faut monter un projet pour servir l’intérêt du financeur, que ce soit pour les associations, les organisations ou même nos états. Les projets correspondent donc plus à la façon de voir des pays colonisateurs que par rapport aux besoins du pays. »
2. Aliénation[3] et néocolonialisme[4]
« Alors sur le deuxième point concernant l’aliénation et le néocolonialisme, voici un peu les ressentis.
Déjà il faut dire que notre éducation même, à partir de l’école, pour tout ceux qui sont allés à l’école, nos contenus pédagogiques sont bâtis sur l’histoire de la France. On disait nos ancêtres les Gaulois hein ! Ça s’est amélioré, mais jusqu’à présent ce que nous apprenons c’est ça. Et après l’école nous connaissons plus le reste du monde en général que nos royaumes qui ont constitué ces peuples que nous sommes. Toute l’histoire est beaucoup plus enseignée donc sur ce qui se passe dans le monde. Certes, on dit que c‘est parce qu’il y a des écrits pour les autres peuples mais tout compte fait jusqu’à présent nos contenus pédagogiques, puisqu’ils étaient validés par l’Occident, sont complètement aliénés par rapport à cette histoire du monde et c‘ est quelque chose qu’on ressent de façon regrettable.
En ce qui concerne notre morale même et la vision du monde, alors , il faut se dire que quand on va à l’école on a une vision chrétienne du monde donc tout ce qui n’est pas chrétien devient soit obscurantisme soit diabolique en sorte que ça crée des citoyens qui voient leurs ancêtres et leurs cultures comme si c’étaient des gens diaboliques comme si c’étaient des gens qui sont dans l’obscurantisme, dans le satanisme et donc ça crée forcément une rupture. Les gens ne veulent même pas aller au village parce que c’est comme si on allait vers des domaines complètement obscurs ou dans la sorcellerie comme on le dit.
Quant à nos modes de vie c’est clair, encore que ça change petit à petit, mais jusqu’à présent vous voyez donc des gens encore qui sont à l’aise, à 40 degrés mais toujours cravatés parce qu’ils sont éduqués à ressembler à des blancs, ils veulent manger avec des cuillères, dans des assiettes, à la mode complètement occidentale. Donc là nous grandissons en étant formés comme « des petits blancs » comme nos parents du village nous appellent. Donc ça nous coupe avec nos parents et ça c’est regrettable.
Alors quand au développement c’est pire, c’est-à-dire que, apparemment le développement c’est ce que « le monde » entend comme développement or ce développement n’est pas penser pour faire évoluer avec nos contraintes locales. Ce n’est jamais vraiment bâti sur nos priorités et nos projets de développement sont des projets bâtis sur une vision du monde, de la façon de voir le monde. Il y a donc des infrastructures qui ne sont pas adaptés, on développe des projets qui ne sont pas adaptés, donc on a l’impression là aussi qu’on est entrain de façonner notre avenir d’une façon assez maline parce que là on ne va pas forcement dans le bon sens. Face à cela nous avons l’impression que l’économie africaine est contrôlée, justement, on parlait du franc cfa, donc toute sa façon de produire, toute sa façon de vendre, tout est encore contrôlé donc nous sentons que nous n’allons pas dans le sens de l’indépendance, nous allons dans le sens de la globalisation. Les prix des matières premières sont encore fixés par les occidentaux par les pays colonisateurs. Nous parlons de l’indépendance des pays africains, tout compte fait en réalité nous sommes dans un nouveau système dicté par la banque mondiale, non pas au profit de l’abolition de nos contraintes mais au profit de ressembler ou d’être assimilés au système mondial et pour servir ce système là. Voila aussi de façon ramassée sur l’aliénation et sur le néocolonialisme. »
3 – Les biens mal acquis[5] / L’impunité[6]
« Nous avons l’impression qu’en réalité il n’y a aucun contrôle concernant l’investissement qui est fait.
L’Afrique n’a servi que de centre de ressources, centre d’approvisionnement pour les économies dites « développées ». Non seulement approvisionnement en humain pendant l’esclavage et approvisionnement des cerveaux à l’époque moderne et à travers les matières premières et toutes les sources de richesse : tout part en Europe de façon brute pour revenir de façon plus chère.
L’Afrique a été pillé et on ne se préoccupe pas de rendre la dette.
Le système continue avec les détournements que l’on observe de la part de nos élites. Les mêmes personnes qui détournent, sont en même temps maintenues en place par des pays coloniaux. Les élites qui détournent redonnent des ristournes en Europe (par exemple nous avons entendu parler de la campagne de Sarkozy), il y a des ententes pour que des ristournes soient reversés aux multinationales et aux États colonisateurs.
Tous ceux qui détournent ici, investissent en Europe et s’ils se font chasser de leur pays, ils sont protégés en Europe où ils peuvent avoir des asiles pour continuer de vivre tranquillement avec l’argent qu’ils ont honteusement détourné. Nous avons le cas de Blaise Compaoré, le cas de Mobutu Sese Seko. L’argent qui a été détourné des pays occidentaux aurait pu être rendu pour les économies du pays. On sent que ceux qui ont détournés sont protégés par les pays occidentaux.
Donc une impunité totale pour nos élites qui sont en complicité avec les États qui financent nos pays. Il y a ce système d’enrichissement illicite, qui arrangent certains, alors qu’il y a des priorités, on ne comprend pas : pas d’argent pour ce que demande la population (routes, centre de santé…) mais lorsqu’il s’agit de système où l’argent peut circuler sans maîtrise, les trafics sont encouragés.
Que ce soit nos propres élites ou le système colonial c’est un système de rapace qui nous ont pillé depuis des siècles et des siècles et ce système s’il n’est pas revu nous ne pourrons pas allés dans le bon sens. »
Nous avons l’habitude depuis 2016 de nous regrouper pour décortiquer au CRIDEV ces termes liés à celui de Francafrique afin de mieux les comprendre ; mais c‘est la première fois que nous avons pu le faire ensemble, connectés grâce aux réseaux (merci la sonabel) et que ces mots n’étaient plus simplement des concepts mais des réalités. Nous avons envie de poursuivre ces temps d’échanges et vous invitons pour une prochaine causerie.
1– L’impérialisme est la politique d’un pays qui cherche à conserver ou à étendre sa domination sur d’autres peuples ou d’autres territoires. Les visées d’expansion d’un régime impérialiste peuvent se faire directement ou par l’intermédiaire de sphères d’ influence. Le colonialisme est une forme d’impérialisme (La Toupie)
2- Ingérence : Action de s’ingérer (v. ce mot B) dans l’activité, les affaires d’autrui. Intervention d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État (CNTRL) Il apparaît probable que, dans la pratique, seuls les Etats les plus faibles soient la cible d’actions internationales d’ingérence. Il est, en effet, difficile d’imaginer une intervention en Tchétchénie contre l’avis de la Russie alors que la situation de la population y est aussi critique que ce qu’elle était au Kosovo, alors rattachée a la Serbie.(La Toupie)
3- Aliénation : Fait de devenir étranger à soi-même, de perdre l’esprit. (CNTRL) Par extension, l’aliénation désigne toute forme d’asservissement de l’être humain du fait de contraintes extérieures (économiques, politiques, culturelles, sociales) conduisant à la perte de ses facultés, de sa liberté. (La Toupie)
4- Néocolonisation : Le terme néocolonialisme désigne, à partir des années 1960, les diverses tentatives d’une ex-puissance coloniale de maintenir par des moyens détournés ou cachés la domination économique ou culturelles sur ses anciennes colonies après leur indépendance.
Le néocolonialisme est principalement fondé sur des politiques commerciales, économiques et financières qui de facto permettent un contrôle de pays. Les anciennes puissances colonisatrices tentent par ces moyens de maintenir leur présence dans ces pays, notamment en ce qui concerne l’accès aux matières premières. (La Toupie)
5- Les biens mal acquis (BMA) : Sont les biens mobiliers et immobiliers acquis par les dirigeants d’État et dont le financement trouve sa source dans des détournement de fonds publics appartenant aux États concernés.
Ce sont le produit d’activités délictuelles ou criminelles qui ont permis à des dirigeants un enrichissement que leurs revenus ne peuvent justifier. Ils sont le résultat de détournements de fonds1, de vols ou de transferts illicites d’argent public entre les comptes nationaux et leurs comptes personnels, de la corruption et de l’octroi de rétrocommissions. Les auteurs des infractions utilisent souvent les mécanismes d’évaporation des capitaux opaques, garante d’impunité, grâce notamment aux paradis fiscaux et judiciaires et à la complicité de pays [dits] développés. (Wikipédia)
6- Impunité Absence de danger, état de celui qui n’est pas exposé à des conséquences fâcheuses. (CNTRL). L’impunité est l’absence de sanction, de punition, de châtiment. C’est le fait pour quelqu’un de ne pas risquer d’être mis en cause pour les fautes qu’il a commises, d’échapper à toute enquête qui pourrait le mettre en accusation, conduire à son arrestation ou à le juger s’il est reconnu coupable. (La Toupie)